Tribune Le Monde pour un statut des patients-enseignants

patient et son médecin

A l’initiative d’Alain Mercier, médecin généraliste, professeur à l’université Sorbonne-Paris-Nord à Bobigny, un collectif de patients, de médecins et de pédagogues universitaires appelle, dans une tribune au « Monde », à réviser en profondeur l’éducation des futurs professionnels de santé, en s’appuyant sur les malades.

Qui mieux qu’un patient peut transmettre au futur médecin ses attentes, son expérience de la maladie et une critique des actions proposées ? Qui est mieux placé pour juger si les décisions sont bien centrées sur ses besoins ? Comment explorer, sans lui, la satisfaction du service du soignant ou une véritable démocratie en santé ? Comment ne pas introduire cette logique lors de la formation médicale ?

De multiples publications confirment l’apport des patients. Un noninitié pourrait les réduire à de simples témoignages. Ils sont plus que cela. Les patients ont des savoirs expérientiels qui concernent la relation soignant-soigné, la vie quotidienne, l’identification de « ce qui fonctionne » dans le système de soin. Ces savoirs, partagés entre patients, nourrissent les apprentissages des étudiants, futurs professionnels de la santé.

Les patients proposent des actions, deviennent experts de leur maladie ou du droit des malades. Ces savoirs sont exposés aux étudiants en médecine, dans des domaines comme la communication professionnelle en santé, l’éducation thérapeutique, la décision partagée, l’addictologie. Les enseignantspatients effectuent des propositions d’évolution de la formation vers d’autres perspectives pédagogiques, ils évaluent les étudiants.

Au Sommet de la francophonie de Djerba (Tunisie) des 19 et 20 novembre 2022, auquel s’est rendu Emmanuel Macron, la conférence internationale des doyens et des facultés de médecine d’expression française a affirmé l’urgence d’affronter les inégalités sociales en santé et de concevoir la santé dans une logique partenariale. Il est enjoint aux citoyens, aux élus et aux soignants de participer au Conseil national de la refondation du système de santé. Le sixième point de la stratégie nationale de santé demande d’adapter la formation aux enjeux du système de santé. Refonder le système sans penser l’éducation des futurs professionnels serait un non-sens.

Dialogue entre instances et usagers

Nous appelons à des changements radicaux. La formation médicale doit s’adosser au concept de responsabilité sociale en santé. La responsabilité territoriale des facultés de médecine, pour répondre aux besoins de santé, doit se décliner aux niveaux local et régional auprès des instances (les communautés professionnelles territoriales de santé…), en partenariat avec les usagers. L’outil de cette participation doit être un dialogue entre instances et usagers, avec pour objectif d’avoir des acteurs de santé de qualité.

La formation devra interroger le savoir et le pouvoir dans la relation de soins. Cette stratégie d’intégration des patients-enseignants doit être durable. L’enjeu ne doit pas se centrer uniquement sur les stratégies pédagogiques, mais doit offrir une véritable vision, systémique et globale, intégrant les évolutions sociétales sur ce que doivent être les soignants de demain. Les patients doivent être présents au sein des facultés, au niveau des instances, les lieux où « l’on décide et conçoit ». Le code de l’éducation doit être repensé pour donner au patient-enseignant un statut, des droits, une rémunération.

Des facultés pilotes doivent être soutenues au niveau institutionnel et financier pour mettre en oeuvre ces innovations. Le patient doit être présent dans l’ensemble de l’ingénierie pédagogique, évaluer les besoins de formation, élaborer les objectifs pédagogiques en coconstruction, mettre en oeuvre et évaluer – y compris le programme – lui-même.

Quelle médecine voulons-nous ? Une médecine technique, d’application de recommandations, ou une organisation humaine, centrée sur la personne ? Nous ne renverrons pas dos à dos ces deux concepts pour, d’un côté, déplorer une médecine technique inhumaine et, de l’autre, fantasmer une médecine humaine sans technique. Les problèmes de santé sont des faits biologiques et des événements biographiques singuliers.

Etre un bon médecin, c’est allier savoir académique, scientifique et expérience de la maladie. Exercer le soin humainement est une attention et un accueil inconditionnels. Le soignant est un donneur de liberté et de choix éclairés. Nous devons évoluer vers un système prédictif des besoins, préventif de la santé, personnalisé et participatif. La médecine de demain s’exercera sur deux faces, celle du médecin, en équilibre avec celle du patient. Les enseignantspatients ont à créer un espace pour que les futurs médecins intègrent la perspective de leurs patients.

Il y a toujours eu des humains malades, il n’y a pas toujours eu des « patients ». Il est réducteur de considérer une personne affectée par la maladie uniquement comme un patient, qui pâtit et subit. Elle est tout autant et d’abord un agent, capable d’élaborer ses propres normes de vie, dans une conception de l’autonomie qui n’est jamais donnée d’emblée et dont il faut accepter qu’elle se construise dans l’interdépendance réciproque avec les professionnels de santé. Cette affirmation nécessite un changement de paradigme. Nous affirmons nécessaire la présence de patients dans l’enseignement de la médecine, pour des soins réellement centrés sur la personne.

Les signataires :

Alain Mercier, médecin généraliste, professeur à l’université Sorbonne-Paris-Nord, Bobigny ; Jean Jouquan, professeur émérite de médecine interne, pédagogue, université de Bretagne occidentale (Brest) ; Thomas Sannié, enseignant-patient, France Assos Santé ; Patrick Lartiguet, doctorant en sciences de l’éducation et de la formation, université Toulouse-Jean-Jaurès, enseignant-patient ; Muriel Londres, enseignantepatiente, coordinatrice de communauté professionnelle territoriale de santé, université Sorbonne-Paris-Nord ; Rémi Gagnayre, médecin, professeur des sciences de l’éducation et de la formation, directeur du Laboratoire éducations et promotion de la santé (LEPS), université Sorbonne-Paris-Nord ; Sofia Boulay, médecin généraliste, maîtresse de conférences associée, université Sorbonne Paris-Nord, Bobigny ; Ando Rajaonah, médecin généraliste, cheffe de clinique, université Sorbonne-Paris- Nord, Bobigny ; Yannick Ruelle, médecin généraliste, professeur associé, université Sorbonne-Paris-Nord, Bobigny ; Olivier Fancelli, médecin généraliste, assistant universitaire, université Sorbonne-Paris-Nord, Bobigny ; Marie-Caroline Meyohas, Professeure en maladies infectieuses et enseignante de la relation en soins à Sorbonne Université ; Olivia Gross, maîtresse de conférences des sciences de l’éducation et de la formation, chaire de recherche sur l’engagement des patients et des usagers du système de santé, université Sorbonne-Paris-Nord ; Isabelle Auger-Aubin, médecin généraliste, professeure des universités, université Paris- Cité ; Jérome Rivkine, enseignant-patient, avocat, cofondateur de l’association de patients en oncopneumologie (hôpital Foch) ; Agnès Certain, praticienne hospitalière, Assistance publique-Hôpitaux de Paris ; Xavier de La Tribonnière, praticien hospitalier, coordonnateur de l’unité transversale d’éducation du patient au CHU de Montpellier ; Claude Daix, patiente partenaire consultante, membre de Savoirs patients, chargée de projet au centre opérationnel du partenariat en santé, Toulouse ; Aurore Margat, maîtresse de conférences en sciences infirmières, Laboratoire éducations et promotion de la santé (LEPS) UR 3412, université Sorbonne-Paris-Nord

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