Article paru dans Lexbase Social Edition n°1013 du 04/06/2025. Par Jérome Rivkine, Avocat au barreau de Paris, Docteur en relations internationales, Patient-partenaire en santé
Regards sur les discriminations en raison du handicap au travail. Mots clés : discrimination • aménagement de poste • handicap • égalité • inclusion
À 20 ans de l’adoption de la loi du 11 février 2005, pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, les discriminations demeurent prégnantes et l’inclusion des personnes en situation de handicap progresse peu [1]. Cet article propose une analyse rétrospective du processus normatif ayant conduit à la consécration juridique de l’obligation d’aménagement du poste de travail pour les personnes en situation de handicap et un panorama des décisions jurisprudentielles majeures rendues au cours des vingt dernières années.
20 % de la population vit avec un handicap aujourd’hui en France. « L’effectivité de leurs droits fondamentaux doit être désormais notre priorité », déclarait le Président de la République Emmanuel Macron, lors de son discours d’ouverture de la Conférence nationale handicap de 2023 [2]. Mais les lois pour l’égalité des droits et des chances comme les politiques publiques inclusives souffrent « d’un manque de cohérence et de visibilité » [3] car de nombreux obstacles subsistent.
Selon le rapport 2024 de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), les personnes disposant d’une reconnaissance administrative de handicap sont près de deux fois moins souvent en emploi que l’ensemble de la population [4]. Pour celles qui sont actives, les discriminations liées au handicap représentent le premier motif de plainte auprès du Défenseur des droits, et ce depuis huit ans consécutifs. Le secteur du travail, d’où viennent plus d’un tiers des réclamations, en est le lieu privilégié [5]. Les mesures d’aménagement de poste, outil indispensable pour rendre le travail
« accessible », figurent au premier rang de ces droits fondamentaux supposés acquis pour rendre effective l’égalité des droits. Mais ces mesures rencontrent encore de nombreuses difficultés de mise en œuvre au quotidien dans les entreprises et la société.
Comment expliquer que la société et les entreprises intègrent encore peu les enjeux liés au handicap alors que les obligations légales d’aménagement sont clairement établies par un cadre juridique contraignant (I.), que l’autorité judiciaire protectrice affirme depuis vingt ans (II.) ?
I. Un cadre juridique clairement établi
A. Genèse de la protection
La construction des droits des personnes en situation de handicap s’inscrit dans un mouvement social plus large né dans les années 1960-1980, à l’intersection de plusieurs luttes minoritaires portées par des collectifs hétérogènes – féministes, antiracistes, militants contre l’alcoolisme ou le VIH/SIDA – tous mobilisés alors autour d’un combat commun : la reconnaissance de leur dignité, de leurs droits et d’une place pleine et entière dans la société. Les associations militent pour l’abandon du « modèle médical » au profit d’un « modèle social » du handicap [6]. Cette convergence des luttes a posé les fondements d’un changement de paradigme, faisant passer les personnes concernées du statut d’« objets de soins ou d’assistance » à celui d’acteurs de leur vie et de la société.
La loi n° 75-534 du 30 juin 1975 N° Lexbase : L6688AGS marque un premier tournant. La reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) permet d’ouvrir droit à une reconnaissance administrative et à des mesures d’accompagnement, d’accès et de maintien dans l’emploi. La loi n° 87-517 du 10 juillet 1987 N° Lexbase : L1099G89 instaure pour la première
fois une obligation d’emploi de travailleurs handicapés (OETH) à hauteur de 6 % pour les entreprises de plus de 20 salariés.
Un changement de vocabulaire accompagne cette évolution. Les termes d’« infirme » ou d’« handicapé », connotés négativement et réducteurs des personnes à leur seule pathologie, sont progressivement abandonnés pour leur préférer l’expression « personne en situation de handicap », qui met en avant la personne dans sa globalité et non réduite à la seule dite déficience. Le handicap n’est plus seulement perçu sous l’angle de la protection ou de l’assistance, mais comme une question d’égalité d’accès au travail, avec des droits opposables dans le cadre d’une responsabilité sociale des employeurs.
En dépit de ces premières avancées, de nombreuses personnes continuent de se trouver discriminées en raison de leur handicap dans l’accès et le maintien à l’emploi. La volonté d’aller vers une société plus inclusive devient un objectif partagé à l’échelle mondiale, dans la lignée des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD).
B. Évolutions normatives
1) En droit européen et international
La Directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 N° Lexbase : L3822AU4 a pour objectif de lutter contre les discriminations fondées notamment sur le handicap et consacre l’obligation d’aménagement raisonnable qui devient une obligation positive pesant sur l’employeur, dont le défaut de mise en œuvre est constitutif d’une discrimination engageant la responsabilité de l’employeur.
La Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH), adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 13 décembre 2006, dispose que « la discrimination fondée sur le handicap comprend toutes les formes de discrimination, y compris le refus d’aménagement raisonnable », défini comme « les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue apportés, en fonction des besoins dans une situation donnée, pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales ». La Convention précise que « le handicap est un concept évolutif et résulte de l’interaction entre des personnes présentant des incapacités et les barrières comportementales et environnementales qui font obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres
» (Préambule, point e). L’idée est que le handicap résulte non pas d’une altération physique ou psychique de la personne, mais d’une interaction entre des limitations fonctionnelles et des obstacles environnementaux ou sociaux dans lesquels elle se situe.
2) En droit interne
La loi n° 2005-102 du 11 février 2005 N° Lexbase : L5228G7R consacre les principes issus de la Directive 2000/78/CE et propose pour la première fois une définition positive du handicap. Jusqu’alors, « la non-discrimination n’était envisagée que par la négative, et ne se traduisait pas par des actions positives afin de favoriser l’inclusion des personnes en situation de handicap dans l’entreprise » [7]. La loi définit le handicap comme « toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération ». Elle affirme l’obligation de prendre les « mesures appropriées pour permettre à une personne en situation de handicap d’accéder à un emploi, de le conserver ou d’y progresser ».
La loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 N° Lexbase : L8986H39 prolonge la loi de 2005, introduit une définition juridique unifiée de la discrimination directe et indirecte [8], harmonise la liste des motifs de discrimination prohibés et outille les justiciables.
Ces dispositions sont transposées dans le Code de l’action sociale et des familles qui appréhende également le handicap comme une construction sociale, en lien avec les barrières physiques, organisationnelles ou culturelles qui empêchent la pleine participation de la personne [9].
Le Code du travail intègre cette logique. L’article L. 1132-1 du Code du travailN° Lexbase : L1000LDE interdit toute mesure discriminatoire en lien avec le handicap, que ce soit au moment du recrutement, de la formation, de l’affectation, de la promotion ou du licenciement. L’article L. 5213-6 du Code du travail N° Lexbase : L6709MKP impose à l’employeur de prendre les « mesures appropriées » pour garantir aux travailleurs handicapés un accès, un maintien, une évolution dans l’emploi ou l’accès à une formation, sauf si ces mesures entraînent une charge disproportionnée. L’article L. 1133-3 du Code du travail N° Lexbase : L6057IAL précise que les différences de traitement fondées sur l’inaptitude constatée par le médecin du travail en raison de l’état de santé ou du handicap ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectives, nécessaires et appropriées.
C. Principes émergents
1) Le droit « d’accessibilité » au poste : une garantie du principe d’égalité de traitement
L’employeur a donc une obligation légale d’adapter le poste de travail d’un salarié en situation de handicap. Il doit prendre en compte les besoins du salarié et aménager son poste pour le lui rendre « accessible » et le replacer ainsi en égalité avec les autres salariés. Le principe s’applique à tout moment de la relation de travail, dès l’embauche, pendant l’exécution du contrat, pour l’accès à des formations et jusqu’à la fin du contrat. L’obligation d’aménagement de poste procède du principe d’égalité de traitement, en ce qu’elle permet précisément de rétablir une personne en situation de handicap une égalité avec les autres dans le travail [10]. « L’obligation d’aménagement raisonnable ne vise donc pas à favoriser la personne handicapée par rapport à une autre, du fait de son handicap, mais bien à compenser l’inégalité induite par le handicap dans une situation concrète, en mettant en œuvre les aménagements nécessaires pour lui permettre d’être à égalité avec les autres » [11].
2) La mise en œuvre de « mesures appropriées » : une garantie de « l’accessibilité » au poste
Dans la Directive 2000/78/CE, les « mesures appropriées » sont définies comme des « mesures efficaces et pratiques destinées à aménager le poste de travail en fonction du handicap, par exemple en procédant à un aménagement des locaux ou à une adaptation des équipements, des rythmes de travail, de la répartition des tâches ou de l’offre de moyens de formation ou d’encadrement » (consid. 20).
L’article L. 5213-6, alinéa 1er N° Lexbase : L6709MKP prévoit que l’employeur doit prendre ces mesures en fonction des besoins, dans une situation concrète, pour permettre aux travailleurs handicapés « d’accéder » à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l’exercer ou d’y progresser. L’article R. 4225-6 du Code du travail N° Lexbase : L3011IAR précise encore que les travailleurs reconnus handicapés doivent pouvoir « accéder » aisément à leur poste de travail et que ces derniers doivent être aménagés si leur handicap l’exige.
3) Sanction du défaut d’aménagement : la discrimination en raison du handicap
L’article L. 1132-1 N° Lexbase : L0918MCY dispose qu’« aucune personne ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire […] en raison de son état de santé, de sa perte d’autonomie ou de son handicap ». L’article L. 5213-6, alinéa 5 N° Lexbase : L6709MKP dispose que : « le refus de prendre des mesures au sens du premier alinéa peut être constitutif d’une discrimination au sens de l’article L. 1133-3 ». L’article L. 1133-3 N° Lexbase : L6057IAL prévoit que « les différences de traitement fondées sur l’inaptitude constatée par le médecin du travail en raison de l’état de santé ou du handicap ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectives, nécessaires et appropriées ».
« De tels aménagements raisonnables permettent de corriger les inégalités factuelles et s’ils ne peuvent être justifiés, constituent une discrimination » [12].
Le salarié peut demander au juge d’enjoindre l’employeur d’y procéder ou prétendre à la nullité de son licenciement.
II. La mise en œuvre de la protection par les juges
A. Le mécanisme d’établissement d’une discrimination en raison du handicap pour défaut d’aménagement de poste
Le mécanisme d’établissement d’une discrimination en raison du handicap pour défaut d’aménagement de poste a fait l’objet de nombreuses décisions et est largement documenté [13]. De façon constante, les juges fondent leur décision sur l’article L. 1134-1 N° Lexbase : L2681LBW , qui institue des règles « d’allégement » [14] de la charge de la preuve au bénéfice de la victime d’une telle discrimination. Dans un arrêt rendu le 12 décembre 2012, la Haute juridiction spécifiait que
« « l’apparence » de discrimination s’apprécie globalement » [15].
Les arrêts rappellent le mécanisme établi par l’article L. 1134-1 : le salarié doit apporter des éléments de faits démontrant que l’employeur avait connaissance de son statut et qu’il n’a pas pris en compte cette spécificité, à charge pour l’employeur de démontrer ensuite que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination [16].
Dans un arrêt du 27 janvier 2021, la Haute juridiction précise cette approche, spécifiant que « la charge de la preuve de la discrimination ne pèse pas sur le salarié » [17].
Dans un arrêt de principe de 2024, la Cour a réaffirmé cette position en la précisant ainsi qu’il suit : « Le juge, saisi d’une action au titre de la discrimination en raison du handicap, doit, en premier lieu, rechercher si le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une telle discrimination, tels que le refus, même implicite, de l’employeur de prendre des mesures concrètes et appropriées d’aménagements raisonnables, le cas échéant sollicitées par le salarié ou préconisées par le médecin du travail ou le comité social et économique en application des dispositions des articles L. 1226-10 et L. 2312-9 du Code du travail, ou son refus d’accéder à la demande du salarié de saisir un organisme d’aide à l’emploi des travailleurs handicapés pour la recherche de telles mesures. Il appartient, en second lieu, au juge de rechercher si l’employeur démontre que son refus de prendre ces mesures est justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination en raison du handicap, tenant à l’impossibilité matérielle de prendre les mesures sollicitées ou préconisées ou au caractère disproportionné pour l’entreprise des charges consécutives à leur mise en œuvre » [18].
L’arrêt du 15 mai 2024 précité s’inscrit dans le droit fil des décisions précédentes et apporte plusieurs précisions sur le mode probatoire applicable. L’arrêt introduit la notion de « refus, même implicite de l’employeur de prendre des mesures concrètes et appropriées d’aménagements raisonnables ». Aussi, un refus, même implicite, opposé par l’employeur à de prendre des mesures concrètes et appropriées d’aménagements raisonnables, le cas échéant sollicitées par le salarié ou préconisées par le médecin du travail ou le CSE peut ainsi constituer un élément de fait caractérisant une discrimination en raison du handicap. Le salarié n’a pas à démontrer l’existence d’un refus, il doit présenter des éléments de faits laissant supposer l’existence d’une telle discrimination, comme le fait que l’employeur avait connaissance de ses besoins, de son handicap, qu’il n’a pas pris en compte, qui laisse présumer un refus implicite. Ensuite, l’employeur doit démontrer que son refus est justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination en raison du handicap « tenant à l’impossibilité matérielle de prendre les mesures sollicitées ou préconisées ou au caractère disproportionné pour l’entreprise des charges consécutives à leur mise en œuvre ». Cette solution est reprise dans un arrêt du 2 avril 2025 [19].
B. En premier lieu : le salarié doit démontrer des éléments de fait qui laissent supposer l’existence d’une discrimination
Au préalable, il y a lieu de rappeler que le juge est tenu d’apprécier chaque élément soumis par le salarié et la situation présentée de façon globale « dans son ensemble » [20].
En pratique, plusieurs « éléments de faits » au sens des décisions qui précèdent sont susceptibles de caractériser l’existence d’une discrimination. Ainsi, lorsque l’employeur :
-
- ne respecte des avis ou propositions émis par le médecin du travail en matière d’aménagements et d’adaptations du poste de travail [21] ;
-
- ne procède pas aux aménagements adaptés (défaut de réalisation d’une étude ergonomique de son poste de travail [22] ; absence de mesures appropriées sérieuses pour faciliter l’intégration d’un salarié sourd-muet [23] ; défaut de fourniture de siège ergonomique [24]) ;
-
- ne justifie pas de recherches sérieuses de poste ou d’aménagement adapté[25] ;
persiste à confier au salarié l’exécution de missions inadaptées à son handicap alors que son état de santé impose des restrictions (sur le port de charges lourdes [26]) ;
- ne justifie pas de recherches sérieuses de poste ou d’aménagement adapté[25] ;
-
- met en œuvre une procédure de licenciement peu de temps après la demande d’un salarié de disposer d’un aménagement (licenciement initié une semaine après refus de mi-temps thérapeutique [27] ; licenciement initié peu de temps après la demande d’un salarié de passer d’un mi-temps à un trois-quarts temps thérapeutique [28] ; licenciement coı̈ncideant avec la dénonciation par le salarié auprès de la direction de la discrimination à raison de son âge dont il était victime [29]) ;
-
- n’a pas procédé à une recherche de reclassement de façon conforme aux préconisations du médecin du travail [30] et appropriée aux capacités du salarié [31]. L’employeur est tenu de tout mettre en œuvre pour reclasser le salarié dans un emploi aussi comparable que possible avec l’emploi précédemment exercé ou, à défaut, sur un poste entraı̂nant, le cas échéant, une modification de son contrat de travail [32]. L’obligation de reclassement n’est pas considérée comme remplie quand le licenciement est intervenu de façon trop hâtive [33]. L’employeur doit prouver qu’il a effectué des démarches effectives de reclassement en lien avec les préconisations du médecin du travail [34].
La discrimination d’une personne en situation de handicap, ou non, peut encore être caractérisée en raison de l’état de santé :
-
- lorsque l’employeur a menacé un salarié de licenciement s’il renouvelait ses arrêts maladie [35] ;
quand la lettre de licenciement mentionne que le licenciement est prononcé en raison de l’inaptitude médicale du salarié, ce dont il résultait que le motif est son état de santé [36] ;
- lorsque l’employeur a menacé un salarié de licenciement s’il renouvelait ses arrêts maladie [35] ;
-
- quand l’employeur ne justifie pas de raisons objectives du licenciement [37].
Lorsque les éléments de faits présentés par le salarié ont été jugés insuffisants pour « laisser supposer l’existence d’une discrimination », la charge de la preuve n’a pas lieu de basculer ensuite sur l’employeur [38].
C . En second lieu : l’employeur ne peut s’exonérer qu’en démontrant que son refus de prendre ces mesures est justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination en raison du handicap, tenant à l’impossibilité matérielle de prendre les mesures sollicitées ou préconisées ou à leur caractère disproportionné
En application de l’article L. 1134-1, alinéas 2 et 3 du Code du travailN° Lexbase : L2681LBW , l’employeur doit présenter des éléments objectifs pour justifier de l’absence de discrimination [39] et « le juge est tenu de s’expliquer sur les éléments objectifs invoqués par l’employeur » [40] qui doivent tenir « à l’impossibilité matérielle de prendre les mesures sollicitées ou préconisées ou leur caractère disproportionné » [41].
1) L’impossibilité matérielle
Il a été jugé que « l’impossibilité matérielle » pouvait par exemple être caractérisée comme :
l’atteinte possible à la santé et à la sécurité des travailleurs, comme les « risques pour la sécurité de la salariée et de ses collègues de travail » [42] ;
l’impossibilité technique comme l’indisponibilité et/ou l’inadaptabilité avérée des locaux de travail, des installations ou équipements de travail, l’impact organisationnel démesuré, lequel doit alors être fondé sur des éléments objectifs sérieux et quantifiables [43], comme la taille de l’entreprise ou ses d’effectifs.
2) La « charge excessive ou disproportionnée » pour l’entreprise
La charge disproportionnée s’apprécie en tenant compte notamment de la nature de l’aménagement demandé, de ses « coûts financiers et autres qu’elles impliquent, de la taille et des ressources financières de l’organisation de l’entreprise et de la possibilité d’obtenir des fonds publics ou toute autre aide » [44] (consid. 21), de son impact que ces mesures génèrent pour l’organisation ou pour l’entreprise au regard de sa taille et de ses moyens matériels. Au titre des ressources, la charge doit donc également être évaluée au regard de la possibilité pour l’employeur d’obtenir des aides financières comme celles accordées par les fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées. La charge disproportionnée a encore pu être appréciée au regard de la taille du groupe auquel appartient la société [45].
Si l’employeur ne démontre pas l’impossibilité matérielle ou le caractère disproportionné, justifié par des éléments objectifs, la discrimination est qualifiée.
Conclusion. L’obligation d’aménagement est une exigence légale et un vecteur d’égalité réelle. Les décisions témoignent d’une volonté de la Cour de cassation de poser un cadre méthodique pour harmoniser et favoriser sa mise en œuvre par les juridictions du fond. Toutefois, à l’analyse des décisions rendues par la Cour de cassation entre 2005 et 2025, bien que non exhaustive, il ressort un nombre relativement faible de contentieux eu égard au nombre de plaintes déposées auprès du Défenseur des droits, alors que sur le plan procédural, de nombreuses voies de recours s’offrent aux salariés victimes de discrimination.
Le Rapport d’information du Sénat du 5 février 2025, sur le bilan de l’application de la loi du 11 février 2005, évoque « une trop faible connaissance du maintien dans l’emploi » [46].
Pour renforcer l’effectivité de la protection, il est sans doute impératif de démocratiser l’accès au droit, d’informer plus largement les salariés sur les protections qui leur sont offertes et de former les employeurs à leurs obligations. Dans le même esprit, une simplification du mécanisme probatoire pour les personnes disposant d’une RQTH mérite d’être envisagée. Encore, une meilleure reconnaissance des conséquences psychologiques durables d’une discrimination – humiliation, isolement, perte d’emploi… – est indispensable pour que l’indemnisation joue aussi un rôle réparateur pour les victimes, mais aussi dissuasif et pédagogique à l’égard des employeurs.
Au final, « le désir des employeurs de s’engager en faveur de la diversité est conditionné par les incitations formulées par le législateur. L’utilitarisme qui anime les entreprises dans leur poursuite d’un objectif de diversité n’ira pas souvent au-delà de ce qui reste avantageux pour elles, que ce soit en termes d’image, ou au regard de la sécurité juridique que procure l’évitement des contentieux pour discrimination » [47]. Toujours est-il qu’au plan éthique, l’objectif d’égalité des droits et des chances, énoncé il y a vingt ans, ne saurait rester un principe incantatoire. Il appelle une mise en œuvre concrète, rigoureuse et humaine pour ne plus être un idéal abstrait, mais une réalité vécue dans la société et les entreprises. La diversité est une richesse, et non un obstacle.
[1] E. Barets, V. Lemaire et C. Ané, L’inclusion des personnes en situation de handicap progresse peu, Le Monde, 30 août 2024 [en ligne].
[2] E. Macron, L’exercice de tous les droits, par tous les citoyens, Discours d’ouverture de la Conférence nationale handicap de 2023 [en ligne].
[3] C. Rogeret, Le handicap, 1er motif de discriminations depuis 8 ans, Handicap.fr [en ligne].
[4] 14,5 millions de personnes âgées de 15 ans ou plus déclarent une limitation fonctionnelle sévère, soit 20 % de la population (DREES, Le handicap en chiffres, édition 2024 [en ligne].
[5] En 2023, les discriminations liées au handicap ont constitué 21% des réclamations, devant celles liées à l’origine (13%) et à l’état de santé (9%). Les discriminations se manifestent principalement dans l’emploi public (21% des réclamations), dans l’éducation et la formation (19%) et dans l’emploi privé (16%) (C. Rogeret, Le handicap, 1er motif de discriminations depuis 8 ans, Handicap.fr.).
[6] Le modèle médical (ou réadaptatif) conçoit le handicap comme une déficience individuelle, d’ordre physique, sensoriel ou mental et a pour objectif de soigner, réadapter. Le modèle social (ou environnemental) ne fixe pas le problème au niveau d’une dite maladie ou déficience, mais des obstacles posés par la société, comme les représentations ou les discriminations.
[7] Ch. Deseyne, M.-P. Richer et C. Féret, Rapport d’information du Sénat fait au nom de la Commission des affaires sociales
sur le bilan de l’application de la loi du 11 février 2005, enregistré à la Présidence du Sénat, 5 février 2025 [en ligne].
[8] Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 N° Lexbase : L8986H39, art. 1er, al. 1er : une discrimination directe est « la situation dans laquelle, sur le fondement [d’un ou plusieurs motifs listés comme discriminatoires], une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable » ; art. 1er, al. 2 : une discrimination indirecte est « une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d’entraı̂ner, pour l’un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés ».
[9] CASF, art. L. 114 N° Lexbase : L8905G8C .
[10] « Si, en règle générale, le principe d’égalité impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n’en résulte pas pour autant qu’il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes » : CE, 20 avril 2005, n° 266572 N° Lexbase : A9381DHW.
[11] Défenseur des droits, Guide sur l’Emploi des personnes en situation de handicap et aménagement raisonnable, décembre
2017 [en ligne].
[12] CEDH, 23 février 2016, Req. 51500/08, CAM c/ Turquie N° Lexbase : A5131PZ3.
[13] L. Joly, Licenciement pour inaptitude du travailleur handicapé : de nouvelles précisions sur l’obligation d’aménagement raisonnable, Lexbase Social, juin 2024, n° 987 N° Lexbase : N9546BZL ; Ch. Moronval, Discrimination en raison du handicap résultant du défaut d’adaptation du poste de travail d’un salarié handicapé, Le Quotidien, 28 avril 2025 N° Lexbase : N2166B3M ; Extrait Jurisclasseur : Discriminations, Fasc. 17-11 ; C. Leborgne-Ingelaere, Discrimination, salarié handicapé et inaptitude : l’office du juge en matière de discrimination fondée sur le handicap, JCP S, 2024, n° 30-34.
[14] Cass. soc., 15 mai 2014, n° 11-21.797, F-D N° Lexbase : A5988MR9.
[15] Cass. soc., 12 décembre 2012, n° 11-22.129, F-D N° Lexbase : A1136IZ4.
[16] Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 18-24.933, F-D N° Lexbase : A70893WH ; Cass. soc., 25 mars 2020, n° 18-18.887, F-D N° Lexbase : A60593KM ; Cass. soc., 27 novembre 2019, n° 18-14.950, F-D N° Lexbase : A3533Z4M ; Cass. soc., 23 octobre 2019, n° 18-14.148, F-D N° Lexbase : A81098YY ; Cass. soc., 18 septembre 2019, n° 17-22.863, FS-P+B N° Lexbase : A3043ZPE ; Cass. soc., 29 mai 2019, n° 17-21.790, F-D N° Lexbase : A0990ZDZ ; Cass. soc., 27 juin 2018, n° 17-10.372, FS-P+B (N° Lexbase : A5811XUR ; Cass. soc., 3 décembre 2014, n° 13-21.611, F-D N° Lexbase : A0606M7L ; Cass. soc., 28 mai 2014, n° 13-12.311, F-D N° Lexbase : A6106MPT.
[17] Cass. soc., 27 janvier 2021, n° 19-17.763, F-D N° Lexbase : A16474EQ.
[18] Cass. soc., 15 mai 2024, n° 22-11.652, FP-B+R N° Lexbase : A49505BX.
[19] Cass. soc., 2 avril 2025, n° 24-11.728, F-B N° Lexbase : A35100EQ.
[20] Cass. soc., 17 avril 2019, n° 16-15.199, F-D N° Lexbase : A5940Y9U ; Cass. soc., 27 novembre 2019, n° 18-14.950, F-D
N° Lexbase : A3533Z4M.
[21] Cass. soc., 1er février 2017, n° 15-13.133, F-D N° Lexbase : A4131TBM ; Cass. soc., 8 février 2017, n° 15-14.885, F-D
N° Lexbase : A2208TCR ; Cass. soc., 8 septembre 2021, n° 20-10.816, F-D N° Lexbase : A2522448.
[22] Cass. soc., 8 septembre 2021, n° 20-10.816, F-D N° Lexbase : A2522448.
[23] CPH de Rouen, 27 janvier 2011, n° 08/00390.
[24] Cass. soc., 2 avril 2025, n° 24-11.728, F-B N° Lexbase : A35100EQ.
[25] Cass. soc., 3 juin 2020 n° 18-21.993, FS-P+B N° Lexbase : A05833NW ; Cass. soc., 15 mai 2024, n° 22-11.652, FP-B+R
N° Lexbase : A49505BX ; Défenseur des droits, décision n° 2024-205 du 16 décembre 2024 N° Lexbase : X7488CRR.
[26] CA Paris, 6-5, 16 novembre 2023, n° 21/09277 N° Lexbase : A157813T.
[27] CA Agen, 13 janvier 2015, n° 14/00819 N° Lexbase : A2367M9K.
[28] Cass. soc., 28 mai 2014, n° 13-12.311, F-D N° Lexbase : A6106MPT.
[29] Cass. soc., 25 septembre 2013, n° 12-17.569, F-D N° Lexbase : A9378KLW.
[30] Cass. soc., 10 décembre 2014, n° 13-17.743, F-D N° Lexbase : A6029M7G.
[31] Cass. soc., 22 juin 2011, n° 10-18.236, F-D N° Lexbase : A5334HU4 ; Cass. soc., 22 juin 2011, n° 10-10.753, F-D
N° Lexbase : A5344HUH ; Cass. soc., 21 mars 2012, n° 10-24.285, F-D N° Lexbase : A4089IGK ; CA Bordeaux, 20 octobre 2011, n° 10/03585 N° Lexbase : A9368H74.
[32] Cass. soc., 6 février 2001, n° 98-43.272, publié N° Lexbase : A3614ARB ; Cass. soc., 26 avril 2007, n° 06-41.541, F-D
N° Lexbase : A0376DWT.
[33] Cass. soc., 30 avril 2009, n° 07-43.219, FS-P+B N° Lexbase : A6456EG9.
[34] Cass. soc., 7 juillet 2004, n° 02-47.686, publié N° Lexbase : A0441DDP.
[35] Cass. soc., 27 novembre 2019, n° 18-14.950, F-D N° Lexbase : A3533Z4M.
[36] Cass. soc., 29 mai 2019, n° 17-21.790, F-D N° Lexbase : A0990ZDZ.
[37] Cass. soc., 19 mars 2025, n° 23-19.813, FS-B N° Lexbase : A502768P.
[38] Cass. soc., 8 janvier 2025, n° 23-15.410, F-B N° Lexbase : A67106P9.
[39] Cass. soc., 17 avril 2019, n° 16-15.199, F-D N° Lexbase : A5940Y9U.
[40] Cass. soc., 25 septembre 2019, n° 18-15.811, F-D N° Lexbase : A0433ZQ4.
[41] Cass. soc., 15 mai 2024, n° 22-11.652, FP-B+R N° Lexbase : A49505BX ; Cass. soc., 2 avril 2025, n° 24-11.728, F-B
N° Lexbase : A35100EQ.
[42] Cass. soc., 14 mai 2025, n° 24-12.225, F-D N° Lexbase : A552009C.
[43] Cass. soc., 15 mai 2024, n° 22-11.652, FP-B+R N° Lexbase : A49505BX ; Cass. soc., 2 avril 2025, n° 24-11.728, F-B
N° Lexbase : A35100EQ.
[44] Directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 N° Lexbase : L3822AU4.
[45] CA Bordeaux, 20 octobre 2011, n° 10/03585 N° Lexbase : A9368H74.
[46] Ch. Deseyne, M.-P. Richer et C. Féret, Rapport d’information du Sénat fait au nom de la Commission des affaires sociales sur le bilan de l’application de la loi du 11 février 2005, enregistré à la Présidence du Sénat, 5 février 2025 [en ligne].
[47] M. Peyronnet, La diversité : étude en droit du travail, Thèse de doctorat, Université de Bordeaux, 4 décembre 2018 [en ligne].
https://www.lexbase.fr/article-juridique/119959386-discrimination-en-raison-du-handicap-regards-sur-l-obligation-d-amenagement-de-poste-au-travail-a-20-ans-de-la-loi-du-11-fevrier-2005